Créé en 2012 au Nigéria par Sacha Poignonnec et Jérémy Hodara, Jumia a réussi l’exploit de s’imposer comme leader de la vente en ligne en Afrique en seulement 4 ans.
Le spécialiste du e-commerce connaît, depuis sa création, des taux de croissance records et aurait multiplié son chiffre d’affaires par 5 au cours de ces deux dernières années. Si Jumia est encore loin d’être rentable en Afrique, l’enseigne est aujourd’hui présente dans 12 pays africains, emploie 1800 personnes et a livré plus de 1,6 millions de commandes en 2015.
E-commerce crossborder : tout savoir sur la vente en ligne en Europe
Cette croissance exponentielle convint sans difficulté les investisseurs les plus prestigieux : Africa Internet Group, société mère de Jumia, a ainsi levé 300 millions de dollars en mars dernier auprès de Goldman Sachs, AXA et Rocket Internet. C’est aujourd’hui l’unique société valorisée à plus d’un milliard de dollars sur le continent africain et elle entend bien y poursuivre sa croissance.
S’il est indéniable que l’Afrique dispose d’un formidable potentiel de croissance, les obstacles qui y entravent le développement du shopping en ligne sont encore nombreux : faiblesse du réseau internet, développement partiel du secteur bancaire, difficultés logistiques, etc.
Mais comment Jumia a réussi à démocratiser le e-commerce en Afrique ? Quelles sont les recettes de son succès sur un continent où la faiblesse des infrastructures est un véritable frein ? Découvrez la success story de Jumia, la startup que l’on surnomme aujourd’hui l’Amazon du continent africain.
L’Afrique, nouvel eldorado du e-commerce ?
Selon les prévisions de la banque mondiale, 6 des 12 économies mondiales affichant la plus forte croissance entre 2014 et 2017 se situent sur le continent africain. Il n’est donc pas surprenant d’y voir un nombre grandissant d’entreprises, notamment dans les nouvelles technologies, y tenter leur chance. Avec une population en forte croissance, l’émergence d’une classe moyenne, la démocratisation progressive d’internet et du mobile, l’Afrique semble au premier abord réunir toutes les conditions pour que le secteur du e-commerce s’y développe.
Alors, pourquoi le continent représente-t’il uniquement 2% du marché mondial du e-commerce à ce jour ? Les statistiques sont sans appel : l’Afrique souffre de la faiblesse de ses infrastructures.
Le taux de pénétration d’internet du continent, malgré ses progrès, reste aujourd’hui loin des taux européens ou asiatiques : il serait autour de 28% contre une moyenne de 50% pour le reste du monde.
Le taux de bancarisation, encore faible, serait quant a lui passé de 24% à 34% entre 2011 et 2014, profitant de l’essor des banques mobiles en Afrique. Il est, en comparaison, passé de 51% à 62% dans le reste monde sur cette même période selon l’étude Global Findex de la banque mondiale.
Enfin, le commerce africain souffre du mauvais état du réseau routier, souvent mal entretenu voir inexistant. La densité du réseau routier africain serait la plus faible au monde, avec 7km pour 100 km2 contre 12km en Amérique latine et 18km en Asie ; on estime que seulement 28% de ce réseau serait bitumé.
Une stratégie gagnante : s’adapter aux réalités locales du continent africain
Jumia a pourtant fait le pari audacieux de démocratiser le e-commerce dans ce contexte complexe. Afin de s’adapter au mieux aux spécificités du continent, l’entreprise a fait le choix de poursuivre une stratégie à long terme, centrée sur :
- La mise en place d’infrastructures logistiques fiables
- L’éducation des consommateurs, le but étant de les rassurer quant aux achats en ligne
Le développement de sa propre flotte de livraison
La logistique est l’un des principaux défis des sites e-commerce. Afin de couvrir un marché africain particulièrement morcelé et de garantir une expérience client de qualité, Jumia a décidé d’investir très largement dans le développement de sa propre flotte de livraison.
L’objectif est de réduire la fracture géographique sur le continent africain et de couvrir l’ensemble des territoires sans nécessairement dépendre de partenaires logistiques. Jumia veut ainsi permettre à tous ses clients, qu’ils vivent dans les capitales ou dans des zones plus reculées, d’accéder aux mêmes produits et aux mêmes prix.
Jumia posséderait désormais une flotte de véhicules supérieure à celle de DHL qui lui permet d’assurer ses livraisons dans les 12 pays où le site est disponible : Algérie, Angola, Cameroun, Egypte, Côte d’Ivoire, Ghana, Kenya, Maroc, Nigéria, Ouganda, Sénégal, Tanzanie. La société s’appuie également sur des livreurs à pieds dans certaines grandes villes, comme à Lagos par exemple.
Outre sa propre flotte de livraison, Jumia propose à ses clients des options alternatives comme le pick-up des commandes en point relai ou la livraison via des partenaires logistiques. Elle souhaite cependant, sur le long terme, assurer un maximum de livraisons via sa propre flotte.
Le paiement en espèce à la livraison
Jumia a également adapté ses moyens de paiement aux habitudes des consommateurs africains.
Comme près de 65% des adultes n’utilisent pas de compte bancaire, le site offre à ses clients la possibilité de payer en espèce à la livraison. Ils peuvent ainsi, s’ils sont satisfaits du produit commandé, payer le montant dû directement auprès du livreur. Ce mode de paiement a l’avantage de rassurer le consommateur, bien souvent méfiant lorsqu’il s’agit de payer sur internet.
Jumia a également noué des partenariats avec des solutions de paiement mobile, par exemple MTN Mobile Money en Côte d’Ivoire. Selon Deloitte, l’Afrique occupe déjà la première place dans ce domaine avec 52% des transactions de paiement effectuées via mobile. Cette option est une véritable alternative au système bancaire traditionnel et permet à Jumia d’élargir sa clientèle.
Une offre plus large que celle des canaux de distribution physique
Jumia s’est aperçu de la faiblesse des réseaux de distribution physique dans de nombreux pays africains. Lagos, avec ses 20 millions d’habitants, ne compte par exemple que 3 centres commerciaux.
Afin de proposer une sélection de produits plus vaste, Jumia a établi des partenariats avec de nombreuses marques locales et internationales. L’objectif de la société est de devenir la porte d’entrée des grandes marques sur le marché africain : Jumia se charge de tout, du stockage à livraison.
Le site a par exemple conclu en Janvier 2016 un partenariat avec Décathlon en côte d’ivoire et propose ainsi des produits de la marque bien souvent introuvables localement.
De grands événements commerciaux en ligne
Afin de développer sa notoriété auprès du grand public, Jumia s’appuie sur le lancement de grands événements commerciaux en ligne. La société a par exemple importé le concept américain de Black Friday qui consiste à proposer des promotions exceptionnelles pendant 24h.
La société a également lancé la Mobile Week dans plusieurs pays africains, notamment en Côte d’ivoire, au Maroc et au Kenya. Le site propose ainsi, pendant 5 jours, des téléphones de grandes marques à prix réduit. Cette opération marketing d’envergure s’est avérée payante : depuis sa première Mobile Week au Maroc, Jumia y vend désormais plus de mobiles que Marjane, principale chaîne d’hypermarchés du pays.
« Jumia s’inspire d’Alibaba qui existe depuis 20 ans en Chine mais n’est devenu rentable qu’au bout de 10 ans »
Grâce à ses nombreux efforts de localisation, Jumia a vu ses revenus doubler en à peine un an, passant de 61,8 millions d’euros en 2014 à 134,6 millions d’euros en 2015. African Internet Group vient d’ailleurs de regrouper toutes ses plateformes sous la marque Jumia, qui rassemble désormais 9 sites e-commerces.
Malgré cette belle croissance, la société est encore loin d’être profitable : elle aurait enregistré des pertes de 111, 3 millions d’euros en 2015, principalement causées par les lourds investissements logistiques des dernières années (flotte de livraison, entrepôts, centres d’appel, etc.).
Comme l’explique Sacha Poignonnec, co-CEO d’Africa Internet Group, cette stratégie devrait s’avérer payante sur le long terme : « Jumia s’inspire d’Alibaba qui existe depuis 20 ans en Chine mais n’est devenu rentable qu’au bout de 10 ans. Il lui a fallu d’abord s’assurer une place de leader avant que les revenus ne dépassent les coûts. »